Quelques mots sur l’école du Phény
L’école du Phény, dans laquelle vient de se dérouler le douzième Certificat de Fin d’Etudes Primaires, a été construite en 1865. Mais avant cette date, où les enfants du hameau apprenaient-ils à lire et écrire?
L’instruction était dispensée dans une maison particulière dans laquelle la Commune louait une salle pour y instruire les enfants du Phény. Cette maison construite en 1760 a été transformée en 1847 (comme l’attestaient les dates sculptées sur le fronton de la porte d’entrée), à l’aide d’un prêt paroissial, pour pouvoir mieux accueillir les nombreux élèves. Elle appartenait Mr Jean-Baptiste DIDIER qui était également le maître-titulaire de l’école.
Ancienne école du Phény
Cette ferme se trouvait au Haut du Phény, près de l’embranchement du chemin qui mène à la Charme. Les gens du Phény appelaient (et appellent encore) cette maison « chez Céline » ou « chez Gravier » ou encore « chez le Manchot ». Elle a été vendue il ya une quarantaine d’années comme maison secondaire qui s’est écroulée par manque d’entretien.
La lecture du courrier du maître d’école, Mr Jean-Baptiste DIDIER, adressé au Comité d’Instruction, nous donne une idée des difficultés que rencontraient les Instituteurs à cette époque dans nos montagnes vosgiennes:
« Une des principales difficultés est que quand un enfant se présente à l’école pour la première fois,ordinairement à l’age de huit ou neuf ans, il n’a jamais entendu parler français, il n’en comprend pas un mot, on est même obligé après une explication de recommencer en patois tout ce qu’on a dit, s’il veut comprendre. »
« La liberté qu’ont eu jusqu’à présent les pères et les mères d’acheter des livres à leurs enfants selon leurs caprices et où bon leur semble,fait que nous n’avons presque aucun de nos livres de classe qui soit conforme, de sorte que l’enseignement simultané est devenu très difficile, quoique cependant il ne doit jamais être remplacé par l’enseignement individuel. »
A cette époque , l’enseignement n’est pas gratuit. Les parents doivent payer une rétribution scolaire à l’instituteur et la Commune verse une somme pour la location des locaux.
Cette lettre de doléances adressé au Maire de la Commune par Jean-Baptiste DIDIER ,le 7 Février 1861, nous donne une idée de la pauvreté des habitants du hameau:
« La nécessité me presse de m’adresser à votre généreuse sollicitude pour obtenir que la somme allouée par la Commune à l’école du Phény soit un peu augmentée.
L’année dernière déjà malgré les sacrifices que la Commune s’est imposés, je n’ai pu réaliser qu’une somme assez peu considérable; mais aujourd’hui, le taux de la rétribution scolaire étant réduit et le nombre des indigents augmenté, je ne peux attendre des pères de familles que 120 francs environ pour l’année présente au lieu de 193 francs qu’ils ont payés pour celle qui vient de finir. Ces 120 francs joints à la subvention communale telle que je l’ai reçue précédemment ne forment que le total modeste de 345 francs, tant pour mes appointements que pour la location de la salle et du mobilier. »
Lorsque Mr Jean-Baptiste DIDIER cesse ses fonctions en 1862, un instituteur , Mr Schweitzer, est nommé pour le remplacer. La situation devient inconfortable car Jean-Baptiste DIDIER continue à louer les locaux à la Commune, celle-ci n’ayant pas de solution de remplacement, et en outre, il doit héberger son remplaçant qui n’apprécie pas son manque de confort et d’intimité!
Les deux parties adressent des courriers de doléances au Maire :
« Puisqu’il est difficile pour le moment de placer l’école du Phény ailleurs que dans ma salle, je consens à l’y laisser jusqu’à ce que la Commune puisse en construire une autre.
Mais si l’école avait pu être logée ailleurs, j’aurais mis dans cette chambre tous mes métiers à tisser; au lieu que je suis obligé à présent de les mettre dans deux chambres distinctes, ce qui m’occasionne en hiver une dépense de chauffage presque double.
Du reste, veuillez considérer, Messieurs, que je ne fournis pas seulement la salle d’école, dont les soins de propreté sont à mes frais, mais aussi la place nécessaire pour loger et façonner le bois de chauffage, le droit à la fontaine ou à la pompe, le corridor et les remises pour les enfants en récréation les jours de mauvais temps, et même le mobilier d’école… »
Le 19 Août 1862, Mr Schweitzer y va également de sa réclamation ferme et argumentée :
« Linstituteur adjoint dirigeant l’école du Phény a l’honneur de vous exposer que la Commune affectant un logement à tous ses instituteurs et instituteurs adjoints, il vient réclamer la même faveur pour lui-même.
Je n’ignore pas ce que l’entretien de toutes ses écoles coûte de sacrifices à la Commune, mais il me semble que si elle veut compléter son ½uvre, elle doit encore beaucoup à l’école du Phény. Il est vrai qu’elle n’est pas encore classée au rang des écoles publiques, mais s’ensuit-il qu’elle ne soit assez grande et nécessaire pour imposer la nécessité de l’entretenir.
Par cela même que mon traitement est moins fort, il m’est d’autant plus difficile de me loger à mes frais. Jusqu’ici, l’instituteur ayant sa résidence chez ses parents, cette difficulté ne se présentait pas pour lui. En payant pension, on ne me doit pas de chambre et pourtant, vous pensez, Messieurs, que sans compter les inconvénients que résultent pour moi d’être contamment parmi des étrangers, il conviendrait que j’aie un chez-moi , soit pour y placer mes effets, soit pour m’y retirer à l’occasion. »
La salle de classe telle que beaucoup d’élèves l’ont connue
Ces réclamations finissent par trouver un écho favorable auprès du Conseil Municipal. Celui-ci, au cours de la séance du 26 Mars 1865, décide la construction d’une école publique au Phény. Les termes de la délibération sont intéressants à lire et instructifs:
« Considérant que l’école du hameau du Phény s’est tenue jusqu’alors dans une salle dépendant d’une maison appartenant à Mr Didier Jn-Bt, ancien institulaire titulaire et qui est située au sommet et loin du centre de ladite section, que Mr Schweitzer, instituteur actuel, obligé de demeurer dans ladite maison, y est excessivement mal logé, qu’en outre le propriétaire a déclaré depuis deux ans qu’il ne louait ainsi une partie de sa maison que par complaisance, pour un temps très court et afin de ne pas priver les enfants de sa section d’instruction pendant que la Commune n’était pas en situation de faire la dépense d’une maison d’école. »
L’attendu suivant de la libération nous instruit d’une manière édifiante sur les conditions de vie des habitants du Phény à cette époque :
« Considérant que la Commune possède déjà quatre bâtiments communaux affectés à la tenue de ses écoles de section, et que le Phény est le seul point qui ne soit pas pourvu à cet effet, qu’il est d’autant plus urgent de combler cette lacune, qu’il est impossible d’y trouver un local convenable et que l’on ne saurait même plus compter sur celui occupé aujourd’hui à titre de location. »
« Que cette école est fréquentée par 52 élèves qui viennent de très loin et habitent en des points les plus escarpés et les plus pénibles de la Commune et qu’il y aurait injustice, alors que les habitants de cette section se trouvent sous tous rapports dans les conditions les plus désavantageuses de ne pas satisfaire à leur légitime désir en leur procurant une maison d’école convenable, comme il en a été bâti dans les autres sections de la Commune. »
« Qu’il existe au Nord Est de chez Jean-Joseph MOREL, au centre même de la Section, un terrain communal assez vaste, aujourd’hui à l’état vague, et où la nouvelle construction serait avantageusement située, à la portée de tous les intéressés, autant du moins qu’il est possible de faire. »
« Considérant que l’intention de la Commune est de faire un bâtiment en tous points semblable à celui élevé en 1859 pour l’école des Xettes. »
« Pour ces motifs, le Conseil municipal vote pour la construction de la Maison d’Ecole dont il s’agit, une allocation de 9 184 francs. »
Cette délibération montre que le Conseil Municipal est bien conscient de la situation des habitants du Phény et qu’il est soucieux la solution la meilleure possible. Le Maire s’appelle Mr MARION.
Après cette délibération du mois de Mars 1865, les démarches seront menées rondement et ne traîneront pas. La situation est urgente pour les enfants du Phény!
Le 24 Mai suivant, un contrat est signé entre le Maire et les constructeurs de l’école. Il s’agit de :
- Victor VALENTIN, maçon à Gérardmer,
- Eloi AUBERT, tailleur de pierres,
- Nicolas Joseph BONTEMPS, monteur menuisier.
Les plans sont dressés par Laurent PIERRAT.
Le bâtiment devra être élevé et couvert pour le 1er Octobre 1865. ( Quatre mois de travaux !) L’ensemble des travaux devra être terminé pour le 1er Mai 1866. Les bâtisseurs eurent donc 1 an de délai pour construire l’Ecole du Phény.
« Le bâtiment devra être élévé et couvert pour le premier octobre prochain et de surplus les travaux être terminés pour le premier Mai1866 sous peine de 10 francs de dommage et intérêt pour chaque jourde retard dans l’exécution de l’une ou l’autre des deux parties des travaux. »
Ecole du Phény en hiver
Les bâtisseurs géromois respecteront les délais puisque le 23 Octobre, Monsieur BARTHE, le nouvel instituteur est installé dans la nouvelle école et écrit au Maire de Gérardmer pour réclamer un complément de matériel pédagogique et des livres pour les indigents :
« Le mobilier que j’avais chez Didier a été descendu à la salle de la maison d’école; mais il est insuffisant.
Là-haut on ne pouvait loger que les choses les plus strictement nécessaires; mais ici la place ne manque pas.
Voici le détail de ce qui me manque pour mon mobilier:
- Un tableau des principes d’écriture,
- Une carte d’Europe,
- Une mappemonde,
- Une carte des Vosges,
- Un Christ,
- Un buste de l’Empereur,
- Deux chaises pour l’école,
- Vingt encriers en verre pour les tables.
Quant aux livres pour les indigents, de ceux dont j’ai besoin, je n’en ai point reçus depuis les vacances de 1863… »
Certains objets peuvent nous surprendre, mais nous sommes en 1866, sous le règne de Napoléon III et les lois laïques n’existeront que vingt ans plus tard.
Les documents suivants nous donnent des indications intéressantes sur les conditions de vie des instituteurs en ce temps-là.
Le 2 Août 1867, Mr Barthe réclame l’achèvement des travaux de l’écurie pour y installer une vache. Il se plaint également de la neige qui, en hiver, s’infiltre à travers les abat-son du clocher et tombe sur son fourrage. [Ce dernier problème existe encore aujourd’hui! L’Association l’a résolu en partie en fixant des feuilles de plastique sur les abat-son exposés au vent qui « hhive »!
« Il a été dit que lorsque j’aurais assez de foin pour nourrir une vache, on mettrait l’écurie en ordre. Je crois que le moment est venu car j’en ai environ cinq mille sur le grenier et le peu de regain qu’il viendra encore, j’aurai assez de fourrage pour en tenir une dès la Toussaint jusqu’à la récolte de l’année prochaine; et de là, je crois qu’il y en aura assez pour en tenir une continuellement car l’engrais placé sur le terrain qui naturellement est déjà bon, à l’exception des marais qu’avec le temps on pourra assainir.
Ce terrain, dis-je, donnera un rendement convenable.
J’aimerais d’avoir l’écurie prête pour la Toussaint car j’achèterais aussitôt une vache qui serait d’un gros allégement des dépense pour la maison.
Tout en faisant l’écurie, le travail le plus indispensable à terminer pour la fin de l’automne, est le clocher, car en hiver, lorsque la neige vole ou qu’il fait du grand vent ou de la pluie, tout le grenier à foin est rempli ou de neige ou d’eau qui entre par les persiennes du clocher.
Comme cette année, le grenier est rempli de foin, l’achèvement de ce travail est très urgent. »
On remarquera la précision, le souci du détail de l’instituteur. Cette lettre sent le problème de certificat d’études!
Le chemin des écoliers en hiver
Une lettre datée du 29 Avril 1867 nous apprend que Madame Barthe, épouse de l’instituteur, a ouvert une classe d’adultes de filles. Les cours , les réunions, ont lieu dans l’appartement de l’instituteur ou dans la classe à raison de deux par semaines. Après une année comportant une trentaine de séances, les filles sont « sorties d’affaires car elles savent coudre et tricoter ». Des garçons assistent également à ces cours mais ils sont beaucoup moins assidus.
Une dizaine d’année plus tard, le 14 Juin 1876, Mr Charlier, réclame la construction d’un four à pain. Son courrier nous renseigne sur les difficultés de communication pour se rendre en Ville :
« Les maisons d’école de toutes les sections de Gérardmer offrent à l’instituteur l’avantage de jouir d’un four. La section du Phény fait encore exception, et jusqu’à ce jour,les instituteurs qui se sont succédés dans ce poste ont dû avoir recours à autrui pour cuir leur pain.
Et cependant,Messieurs, vous ne l’ignorez pas, cette section est une des plus éloignées du centre, celle dont les communications avec le village offrent le plus de difficultés, celle enfin où le transport des denrées de première nécessité coûte le plus soit de peine, soit d’argent.
Je viens vous prier ,Messieurs, de combler cette lacune en faisant construire un four à pain à la maison d’école du Phény. J’ose espérer que ma demande sera accueillie favorablement, car tout ce qui a rapport aux intérêts de l’instruction est l’objet de votre sollicitude. »
Il a obtenu satisfaction car ce four, qui a coûté 150 francs d’après le devis que nous avons retrouvé, existait encore quand j’étais écolier au Phény, il a une soixantaine d’années. Nous appelions cette pièce « la chambre à four ». Par la suite, des sanitaires ont été installés à cet endroit et ont entraîné la disparition du four.
La montée au Phény par le chemin des Rochottes
La cloche de l’école permettait d’appeler les élèves souvent très éloignés. Les enfants des Noirs Rupts descendaient, ceux de Ramberchamp montaient, à pieds, été comme hiver. La cloche servait également de tocsin.
L’école du Phény a fonctionné jusqu’en 1969, c’est-à-dire pendant un siècle.
De 1969 à 1992, l’école a donc été fermée et très vite, fut victime du vandalisme et du manque d’entretien. (La cloche a dû même être mise en sécurité!)
L’association pour la promotion de l’école du Phény et de la vie en montagne a vu le jour le 6 septembre 1992, sous l’impulsion de quelques habitants du hameau.
En une dizaine d’années, avec l’aide de la Commune de Gérardmer et de bénévoles, l’association a restauré les bâtiments de l’école. Le logement de fonction est actuellement occupé par un jeune couple ayant deux enfants.
L’association met à la disposition des familles et des groupes deux salles de réunions, une cuisine équipée et un dortoir de 14 lits. Elle privilégie surtout les réunions familiales et les séjours de pleine nature.
L’association organise quelques manifestations culturelles et de loisirs permettant de faire connaître, comprendre et respecter la montagne vosgiennes.
Actuellement, et conformément à ses statuts, l’association oriente son action vers la gestion de l’espace afin de préserver le charme actuel du hameau du Phény.
Qui peut-être membre? Tous ceux et toutes celles qui s’intéressent aux buts de l’association.
Nous vous attendons, vous serez les bienvenus.
Dans les années 1950, l’instituteur du Phény, Mr JEROME,
franchit le « Cul de la Hotte » pour se rendre à Gérardmer